Acceptation du don de gamètes
Par Catherine VACHER-VITASSE, une gynécologue devenue psychanalyste
Bonjour Madame VACHER-VITASSE. Quel a été votre cursus scolaire et professionnel ?
Je suis médecin, gynécologue médicale. A la suite d’une analyse personnelle et d’un long parcours théorique et clinique, je suis devenue psychanalyste. J’exerce donc la gynécologie médicale et dans un lieu différent la psychanalyse. Ayant un intérêt particulier pour la question de la maternité et de la PMA, j’ai travaillé comme psychanalyste dans le centre d’AMP (Assistance Médicale à la Procréation) du CHU de Bordeaux pour recevoir les couples infertiles qui souffraient dans leur parcours d’AMP. C’est en tant que psychanalyste que je réponds aujourd’hui à vos questions.
Lorsque la FIV biologique ne fonctionne pas, il faut se pencher vers le don de gamètes. En tant que psychanalyste, pouvez-vous nous parler de la question d'acceptation de la situation et de gamètes venant d'autrui ?
Parfois la FIV ne fonctionne donc pas. Ce que vous appelez la FIV biologique est la FIV avec ses propres gamètes. On peut distinguer deux situations : soit l’AMP homologue (avec ses propres gamètes) est une réponse au problème d’infertilité mais les cycles de FIV ne sont pas couronnés de succès et les couples doivent se tourner vers le don de gamètes, ou bien l’homme ou la femme se tournent d’emblée vers le don de gamètes dans le cadre d’une stérilité masculine, ou pour la femme, d’une insuffisance ovarienne précoce.
Ces deux cas qui sont différents, car l’infertilité connue depuis longtemps oblige certains couples à réfléchir aux solutions possibles et à envisager le don mais l’infertilité redoublée par les échecs de la FIV oriente également vers les dons de gamètes.
Dans les deux cas, il faudra dans un premier temps assumer le diagnostic d’infertilité par un long cheminement de deuil de sa fertilité avec ses propres cellules reproductrices contenant son patrimoine génétique. Dans un second temps, il sera nécessaire d’accepter de recevoir des gamètes venant d’autrui. Faire le deuil de sa fertilité est un très long processus et même lorsque l’AMP a réussi, la cicatrice de l’annonce de l’infertilité n’est pas toujours refermée.
Il y aura donc un double deuil à faire : celui de sa fertilité, puis celui de l’utilisation de ses propres gamètes pour faire un enfant.
Comment est vécu le deuil de ses gamètes ?
Faire le deuil de ses propres gamètes est quelque chose de difficile et douloureux. C’est bien sûr au cas par cas différent pour chacun. La nécessité d’assumer qu’avoir un enfant de soi ne sera pas possible implique plusieurs dimensions : il ne sera pas possible d’avoir un enfant qui porte son propre patrimoine génétique que l’on voulait transmettre pour perpétuer la lignée, il ne sera pas possible d’avoir un enfant qui nous ressemble, dans ses aspects physiques ou intellectuels. Comme vous le savez, l’entourage des enfants nés de dons leur trouve des ressemblances physiques étonnantes avec leurs parents ! Les enfants prennent effectivement les expressions et mimiques de leurs parents, ce qui les ravit. Il y a beaucoup de croyances sur la façon de vivre la naissance d’un enfant né avec un don de gamètes et il est important que tout cela soit discuté, pour faire le partage entre le vrai et le faux, entre ce que l’on imagine et la réalité. Il est important de laisser aux futurs parents le temps de s’approprier ces gamètes du don qui leur permettront de construire leurs propres histoires de père et de mère.
Comment se déroulent les étapes d'acheminement psychologique vers le don ? Comment suivez-vous vos patients sur cette question ?
Pour s’acheminer vers le don, il faut du temps. La problématique est différente pour une femme et pour un homme.
Le don de spermatozoïde est historiquement le plus ancien. Pour un homme, l’annonce de son infertilité est difficile à supporter car il fait souvent un amalgame avec une atteinte à sa virilité. Si un enfant pouvait advenir avec l’ICSI (Introduction pour fécondation in vitro d’un spermatozoïde dans un ovocyte), ce serait une chance formidable pour lui. Mais parfois cela n’est pas possible, et il faut envisager le don. Cela a plusieurs effets que nous travaillerons ensemble pour ceux qui se questionnent. La loi de bioéthique a rendu obligatoire dans les CECOS les entretiens avec un psychologue. Nombre d’hommes interrogent d’abord la question du père, ce qui est une chance ! Le discours courant fait souvent mention du « père biologique », ce qui est une formulation inexacte. Existerait-il un père biologique ? Le père est un être social, celui qui accueille l’enfant et s’en occupe lorsqu’il arrive. Il est celui qui aime l’enfant, qui travaille pour lui, qui l’a désiré, qui est présent dans les paroles de la mère. Nous parlerons donc de donneur et non de père biologique. Il est très important d’offrir un lieu de parole pour qu’un homme puisse oser aborder ces questions. D’autre part, l’idée que sa femme pourra vivre une grossesse et avoir un enfant s’il accepte un don de sperme lui permet d’offrir ainsi cette possibilité de maternité à sa femme et cela restaure sa place d’homme et de futur père dans le couple. Mais le cheminement est parfois long, c’est pour cela qu’il est essentiel de faire une offre de parole à ces hommes. S’en saisir les soulage, diminue leur culpabilité et leur permet de mieux accepter cette paternité avec don.
La problématique du don d’ovocytes est différente. Là aussi, le diagnostic de l’infertilité - en principe définitif - est un choc. Il faut de nombreux mois, voire de nombreuses années pour qu’une femme puisse l’accepter. Cela dépendra bien sûr de son âge au moment de l’annonce. Pour l’insuffisance ovarienne précoce, le diagnostic est d’autant plus difficile à accepter qu’il s’agit d’une jeune femme. C’est l’image de la féminité qui est en jeu, en plus de celle de la future mère. Ces jeunes femmes ont besoin d’exprimer leur colère et leur souffrance avant d’envisager le don. Ces femmes, qui ne peuvent envisager de procréer avec leurs propres ovocytes, se sentent lâchées par leur corps : « pourquoi moi ? ». C’est une immense blessure narcissique et elles se sentent trahies dans la promesse qui leur avait été faite quand elles étaient petites filles : « Toi, quand tu seras grande, tu auras des enfants. » Elles sont heureuses de savoir que le don d’ovocyte existe : c’est une chance car elles vont pouvoir porter l’enfant, il va se développer dans leur ventre, et il y aura de nombreuses interactions entre elle et lui pendant la grossesse, ce sera son enfant.
Il est important de laisser du temps suite à une annonce d’infertilité, sans proposer tout de suite la solution du don, pour laisser place à l’élaboration psychique qui soutiendra chacun et chacune dans l’invention de sa solution face à ce que l’on peut repérer comme un reste intraitable qu’évoque toujours une infertilité.
Ce deuil de gamètes touche-t-il autant les femmes que les hommes ?
Comme nous venons de le voir les questions se posent différemment pour un homme et pour une femme, chacun ou chacune est touché(e) selon sa sensibilité propre. Il n’y a pas de règle universelle. Cependant, les hommes comme les femmes ont besoin de venir parler de ça. C’est pourquoi, une consultation avec un psychologue est systématiquement proposée dans les CECOS et c’est la possibilité pour eux de parler de ce qui est compliqué dans cette démarche. Certains couples, certains hommes et certaines femmes s’en saisissent pour élaborer ce que sera pour eux un enfant né du don. D’autres font une démarche personnelle auprès d’un psychologue ou d’un psychanalyste et cela leur permet une élaboration à partir de leur histoire personnelle et de leur désir d’enfant. Tout cela se rencontre au cas par cas, c’est différent pour chacun.
Article publié par l'association de lutte contre l'infertilité "Les Cigognes de l'Espoir" Tous droits réservés
Tout savoir sur le don d'ovocytes
Mme Vacher Vitasse est thérapeute partenaire de l'association sur Bordeaux
Le site internet de Catherine Vacher Vitasse
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